Napoléon
a été le premier Chef d’État d'Europe à accorder la liberté du
culte pour toutes les religions.
Dans
cette lithographie d’époque, il l'accorde aux Juifs.
*
* *
Le
texte de cette proclamation n’a jamais été retrouvé dans
l’original. C’est une des raisons pour lesquelles son authenticité
demeure contestable. Ce
que nous présentons ci-dessous est une
traduction française que nous avons faite sur le texte allemand de cette
proclamation, texte découvert par hasard dans les archives d’une
famille juive de Vienne et publié pour la première fois en 1940 en
traduction anglaise dans une revue Juive de Londres. Sur toute cette
question assez compliquée, cf. notre article Bonaparte au Moyen-Orient
dans la revue
«
l'Arche »
(novembre-décembre 1969). - [HISTOIRE JUIVE citée
p. 268].
Voir également :
NAPOLÉON : L'HOMME DU DESTIN
L’Empereur
Napoléon en tenue de sacre portant
le
collier de la Légion d’Honneur qu’il créa en 1802.
Quartier général, Jérusalem, 1er
floréal an 7 de la République française (20 avril 1799).
Bonaparte,
commandant en chef des armées de la République française d’Afrique et
d’Asie,
aux
héritiers légitimes de la Palestine.
« Israélites,
nation unique que, durant des millénaires, la soif de conquête et la
tyrannie ont pu dépouiller uniquement de sa terre ancestrale mais non
point de son nom ni de son existence nationale ! Des observateurs
attentifs et impartiaux de la destinée des peuples, même sans être doués
des dons de prophétie d’un Isaïe et d’un Joël, ont depuis longtemps
ressenti, eux aussi, ce qu’avaient prédit ces hommes avec leur foi
merveilleuse et stimulante, au moment où ils voyaient approcher la
destruction de leur royaume et de leur patrie : «
Les rachetés de l’Eternel
reviendront et retourneront à Sion en chantant, et une joie éternelle
sera sur leur tête. Ils retrouveront joie et bonheur, et tourments et
soupirs disparaîtront (Isaïe 35 : 10) ».
Alors,
debout dans la joie, vous les exilés ! Par une guerre sans exemple
dans les annales de l’histoire, guerre engagée pour son auto-défense
par une nation dont les territoires héréditaires étaient considérés
par l’ennemi comme un butin à partager arbitrairement et selon leur bon
plaisir sur un trait de plume des chancelleries, cette nation venge sa
propre honte, ainsi que la honte des peuples les plus lointains, oubliés
depuis longtemps sous le joug de l’esclavage ; elle venge aussi
l’ignominie qui pèse sur vous depuis près de deux mille ans. Et tandis
que le moment et les circonstances pourraient paraître les moins propices
à revendiquer vos droits ou même simplement à les exprimer, et vous
contraindre ainsi à y renoncer totalement, c’est à ce moment précis
que, contre toute attente, cette nation vous offre le patrimoine d’Israël.
La
jeune armée avec laquelle la providence m’a envoyé ici, guidé par la
justice et escorté par la victoire, a fait de Jérusalem mon quartier général
: sous peu il sera transféré à Damas, un voisinage qui n’a plus rien
de terrifiant pour la cité de David.
Héritiers
légitimes de David !
La
grande nation qui ne fait pas de trafic d’hommes ni de territoires à la
différence de ceux qui ont vendu vos ancêtres à tous les peuples (Joël
3 : 6) fait ici appel à vous, non pas, certes, pour que vous fassiez
la conquête de votre patrimoine ; mais simplement pour que vous preniez
possession de ce qui a été conquis, et qu’avec la garantie et l’aide
de cette nation, vous en restiez les maîtres et le demeuriez contre tous
ceux qui voudraient venir vous le prendre. Debout ! Montrez que la
puissance écrasante de vos anciens oppresseurs a pu tout au plus mettre
en sourdine le courage de ces frères héroïques dont l’alliance
fraternelle
aurait fait honneur même à Sparte et à Rome (Maccabées 12 : 15)
mais que ces deux mille ans d’esclavage n’ont pas réussi à l’étouffer.
Hâtez-vous !
Le moment est venu — et
il peut ne pas se représenter avant des milliers d’années —
de réclamer au sein des
peuples de l’univers, la restauration de vos droits civiques dont vous
avez été honteusement frustrés pendant des milliers d’années, votre
existence politique de nation parmi les nations et le droit normal et sans
restriction d’adorer Jéhovah selon votre foi, publiquement et
probablement à tout jamais (Joël 3 : 20).
[Cette
proclamation, dans le contexte du moment où elle est censée avoir
été
faite, est en harmonie
avec le caractère et le style de Napoléon — Réd.]. Cependant, il est
certain que Napoléon a considéré les Juifs non comme des citoyens français
de religion juive, mais comme une nation à
part, qui ne se mêle pas à
la grande nation et qui,
de ce fait, doit être traitée différemment.
Encore
Consul, il avait nourri
à l’égard
des Juifs un rêve généreux : les rétablir en Terre Sainte dans leur
ancienne grandeur. C’est un peu de ce rêve qui a alimenté l’expédition
d’Egypte et de Syrie. Il avait, à
l’époque, lancé un
appel aux Juifs africains pour qu’ils s’enrôlent sous ses drapeaux,
et ils avaient répondu en masse, enthousiasmés par ce jeune héros.
Plusieurs savants juifs avaient fait partie de la mission scientifique
jointe à l’expédition.
Des plans relativement avancés avaient même été
faits pour la réalisation
d’un royaume juif en Palestine. L’ambition de Bonaparte n’y était
pas étrangère : la
gloire du Messie, qui rassemblerait en Terre Sainte les dispersés d’Israël,
n’était pas au-dessus de ses visées. Mais l’expédition d’Egypte
fut un échec militaire, et les projets grandioses durent être abandonnés.
Resta-t-il
dans l’esprit de Napoléon l’idée que, puisque même le glorieux
Bonaparte n’avait pu réussir
à
les restaurer dans leur
grandeur, c’est qu’ils étalent vraiment l’objet d’une malédiction
divine ? Ce n’est pas impossible...
Ceci
expliquerait que, en fait
à
côté de certaines
mesures prises sans hostilité et d’ordre purement administratif, Napoléon
a tout simplement retiré aux Juifs une partie des droits qu’ils avaient
acquis grâce à la
Révolution : c’est le sens du « décret Infâme »
de 1808. Il semble même
avoir été bien
près de songer à annuler
totalement le décret de 1791 : c’est la crainte qui pesa lourdement sur
l’assemblée des notables de 1806, puis sur le Sanhédrin.
Pour
plus de détails sur les faits eux-mêmes, et dans l’ignorance des
mobiles profonds animant Napoléon, nous renvoyons nos lecteurs
à
l’ouvrage de Mme Renée
Neher - Bernheim,
pp 221 et suivantes. Nous laisserons cependant la conclusion à
Mme Françoise
Hildesheimer [INFORMATION JUIVE DE NOV. DEC. 1988]. «
En fait, quelles que
soient les nuances qu’un jugement à plus long terme peut amener à
apporter et qui s’appliquent davantage à l’assimilation qu’à l’émancipation
qui en fut à l’origine, il faut reconnaître que cette émancipation a
constitué pour le judaïsme français une véritable levée d’écrou,
sanctionnant son retour dans l’histoire. Au sur plus, si à certains égards
l’œuvre impériale peut être considérée comme constituant un recul
par rapport à l’émancipation révolutionnaire, elle n’en fut pas
moins durable et beaucoup plus libérale que la position des autres Etats
européens ».
E.B.
196 – juillet 1989 p. 33
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